Expérience de lecture :
J’ai hésité à acheter ce livre. Il me semblait que L’Age de la multitude de Nicolas Colin et Henri Verdier et l’ouvrage sur l’Ubérisation de Denis Jacquet que je venais de lire étaient suffisants pour comprendre les mécanismes de l’économie de plateforme et l’urgence de l’innovation pour les acteurs traditionnels. Puis j’ai assisté à une conférence de Gilles Babinet en novembre 2017. Je l’ai trouvé très critique sur la difficulté des grands groupes à se transformer. Cela me semblait injuste, quand on sait que ces organisations doivent en parallèle préserver la stabilité du modèle historique dont dépendent de nombreux salariés. J’ai donc voulu comprendre ses arguments. Comme d’habitude, nul besoin d’emphase ou de punchlines pour Gilles Babinet. Il décrit le processus de transformation digitale de manière claire et naturelle grâce à une analyse précise et à un regard distant. C’est la première fois que je trouve aussi clairement exposé le sujet de l’intelligence collective et l’importance du capital humain dans le processus de transformation digitale des entreprises.
Mon conseil : Je recommande ce livre aux profanes pour comprendre le mécanisme de transformation des organisations et les processus qui sous-tendent l’économie de plateforme. Pour les autres, à lire si vous doutez encore que l’enjeu culturel soit déterminant pour réussir la transformation digitale.
Résumé :
La transformation digitale ne fait que commencer. C’est une vraie révolution culturelle et anthropologique qui se traduit par un monde plat et horizontal caractérisé par l’ouverture et le partage. Les GAFA et les Start up arrivent comme des « barbares » en s’affranchissant des règles qui protégeaient les acteurs traditionnels. Ils s’installent en supprimant les intermédiaires et en profitant de manière pragmatique d’une économie à croissance exponentielle avec des coûts marginaux de communication, de transaction et de production.
Pour survivre et être compétitives, les entreprises doivent muter et saisir d’une part les opportunités offertes par la loi de Moore, qui permet un développement à moindre coût des technologies numériques, d’autre part les progrès de la connectivité qui donnent le pouvoir central à la multitude mais aussi les big data et les algorithmes qui offrent des capacités d’analyse sans précédent.
Entre les ETI qui perçoivent partiellement les risques, les PME en mode survie et les grands groupes contraints par les logiques financières court-termistes, chacun acquiert une conscience floue de l’urgence du projet et des moyens à mettre en œuvre. Les investissements se font de manière progressive, et sans innovation radicale dans les modèles d’affaires ni modification structurelle profonde et massive de la culture managériale.
Ces changements sont les plus difficiles à opérer dans des entreprises où les dirigeants ont pour la plupart été formés au XXème siècle, dans un monde où la hiérarchie, les diplômes et le niveau de formation suffisaient à justifier le commandement. Les entreprises qui veulent se transformer doivent pourtant favoriser la transversalité, l’horizontalité et l’autonomie. Cette démarche peut se traduire par la réduction des niveaux hiérarchiques, par la valorisation des profils qui ont une culture d’échange et par l’intégration des nouvelles générations. L’intelligence collective, la diversité et la multidisciplinarité doivent aussi permettre l’émergence d’une culture de l’innovation.
Mais le changement le plus difficile à appréhender est le processus nécessaire de transformation de l’entreprise en plateforme. Les entreprises doivent en effet devenir un « trait d’union entre data et multitude ». Elles doivent massifier les processus et fluidifier la circulation de données pour créer plus de valeur. En mettant les API au cœur de leurs stratégies elles doivent devenir des plateformes d’intelligence collective. Cette mutation doit leur permettre de multiplier les interactions avec les clients et mesurer leur feedback en temps réel pour proposer des services personnalisés à forte valeur.
Que font les entreprises qui semblent réussir leur transformations ?
– Elles modifient la culture managériale de manière volontariste grâce notamment à des plans de formation ambitieux ;
– Elles organisent la compatibilité des échelles de temps entre le long terme nécessaire pour modifier les héritages culturel et informatique, et le court terme pour délivrer des preuves concrètes de transformation.
– Elles créent de la valeur grâce à leurs stratégies de plateforme qui ont permis de multiplier les interactions avec la multitude et les touchpoints avec leurs clients en particulier.
Mais la transformation digitale demande aussi beaucoup de méthode et de préparation : audit de l’ensemble des processus, création d’indicateurs pour orienter les arbitrages, création de laboratoires indépendants, création d’une équipe digitale transversale et, éventuellement, recrutement d’un Chief Digital Officer.
Aucune entreprise ne peut se permette de sous-estimer l’impact de la transformation et l’ampleur des changements organisationnels et culturels à mettre en œuvre pour « rester dans la course ».
Pour en savoir plus…