Expérience de lecture :
J’ai trouvé ce livre intéressant, inquiétant et parfois éprouvant, tant les bouleversements qu’il annonce sont vertigineux et destabilisants. C’est une vision radicale de l’avenir de l’homme proche d’un scénario de science fiction. On est très loin du scénario consensuel de l’intelligence artificielle bienveillante au service de l’homme. Je ne suis pas en phase avec cette vision extrémiste. Nous ne devons pas être obnubilés par l’urgence que nous impose la course entre les GAFA et un état chinois décomplexé. L’intelligence humaine commence par l’exercice de notre libre arbitre.
Certes, ce livre suscite les peurs mais c’est probablement un mal nécessaire pour accélérer la prise de conscience des enjeux et faire évoluer rapidement les politiques éducatives. On est dérangé au début du livre par des thèses post-humanistes radicales et une analyse binaire de la société mais c’est à mon sens de la provocation, la position de l’auteur évolue progressivement pour finir sur une vision plus égalitariste et humaniste.
J’ai refermé ce livre avec un seul regret : être née beaucoup trop tôt et ne jamais connaître l’avenir que l’humanité aura choisi !
Mon conseil : Les adeptes du politiquement correct vont bondir, les âmes sensibles vont frémir mais les esprits critiques vont se régaler. Tout a été dit sur ce livre : vision extrémiste, manque d’humilité, plaidoyer pour un eugénisme social… . Je vous conseille de le lire pour éviter de vous laisser influencer par des interprétations et critiques rapides. Vous aimerez ou vous n’aimerez pas cette vision qui n’engage que l’auteur, mais vous aurez saisi la mesure des enjeux, et vous pourrez accéder à votre opinion personnelle.
Résumé :
– L’intelligence biologique ne peut concurrencer l’Intelligence Artificielle qui progresse très vite, quand nous devons attendre patiemment des générations pour gagner quelques points de quotient intellectuel.
– L’intelligence est un enjeu de pouvoir économique et géopolitique. Les GAFA investissement massivement dans les innovations des neurotechnologies, et les Chinois basculent progressivement mais sans état d’âme dans le monde de la neuroéducation et de la manipulation neurologique. L’occident, et l’Europe en particulier, subissent déjà une baisse des capacités cognitives et doivent donc réagir. La guerre des cerveaux a déjà commencé et notre seule option est l’augmentation de nos capacités intellectuelles pour garantir notre survie et développer notre complémentarité avec l’Intelligence Artificielle.
– Les institutions doivent accélérer l’adoption des nouvelles technologies et en faire un outil d’augmentation, « Le fatalisme est un luxe que nous ne pouvons nous permettre ». Sinon le risque est de mettre en péril la démocratie, de polariser et d’opposer les classes sociales et de générer un chômage de masse. L’école, qui s’est contentée d’entériner le déterminisme génétique et social, est la première institution qui doit se transformer. Elle doit capter maintenant l’opportunité des nouvelles technologies pour faire évoluer l’éducation et préparer les jeunes au monde de demain qui exigera un très haut niveau de qualification.
L’école devra s’adapter en plusieurs étapes :
– A partir de 2020, l’école devra proposer un enseignement hyper personnalisé. Ce sera possible grâce au progrès des neurosciences qui fourniront une meilleure connaissance des mécanismes individuels d’apprentissage et aux logiciels qui permettront un suivi personnalisé.
-De 2035 à 2060, on passera de la neuroéducation à la neuroaugmentation pour assurer la complémentarité et surtout la compétitivité de notre cerveau. On pourra passer par la voie génétique avec une sélection d’embryons ou le dopage in utéro, ou encore par la voie électronique grâce à des implants cérébraux.
Pendant la transition, il est possible que nous subissions une société à deux vitesses, mais progressivement la dynamique du progrès imposera à la société de se battre pour le droit à l’intelligence pour tous. Personne n’acceptera de voir exclure ses enfants par le hasard de la naissance alors que la neuroaugmentation sera accessible et que l’intelligence sera déterminante pour garantir l’insertion sociale.
A partir des années 2060 la seule certitude que nous ayons, c’est que nous allons devoir évoluer avec les machines sans savoir si elles seront hostiles, fidèles, si elles voudront nous contrôler ou nous exterminer. Plusieurs futurs sont possibles : un retour en arrière conservateur, et à l’opposé un scénario extrême qui va de la « surenchère eugéniste et technologique » au contrôle de notre liberté et de notre intimité par des géants du numérique superpuissants en capacité de manipuler notre cerveau.
Nous allons faire face à des choix éthiques et des questions existentielles inédits. Dans un monde virtuel et de « dictature algorithmique » il faudra se battre pour préserver notre corps, notre intimité, notre conscience individuelle et notre liberté. En fonction des choix que nous ferons, cette mutation peut porter en elle l’abolition ou la révélation de notre humanité.
Nous allons vivre une véritable aventure humaine, et devons assumer notre responsabilité qui est le corollaire de la puissance inédite que nous allons avoir. Nous « aurons l’intelligence artificielle que nous méritons ».
Pour en savoir plus… Laurent Alexandre, auteur du livre « La guerre des intelligences », est « L’Invité des Echos ». Octobre 2017.