P@roles d’expert Industrie 4.0 – Jean Baptiste PERNOT

Jean-Baptiste Pernot est ingénieur de formation, il a passé sa carrière dans l’industrie en tant que responsable de projets, manager commercial, ou encore directeur d’usines et de filiales. Ses missions l’ont amené dans de nombreux pays, notamment en Chine ou il a travaillé pendant 10 ans. Il est actuellement responsable des Opérations et de la Transformation du groupe Saft, leader mondial des batteries industrielles de hautes technologies.

EDR – On parle d’usine 4.0, de smart factory…Ce sont juste des buzz word ou une réalité ? Comment ça se concrétise au quotidien et quels bénéfices pour les organisations ?

Jean-Baptiste Pernot : C’est une réalité mais c’est plus un chemin à suivre qu’un big bang. Ceux qui se posent encore des questions et ne prennent pas le train des nouvelles technologies vont le payer très cher car il sera trop tard pour implémenter les innovations. Il faut toutefois être prudents, on oppose souvent les méthodes traditionnelles lean avec la digitalisation alors que je crois que les deux approches sont complémentaires : le processus de transformation digitale doit s’appuyer sur une couche Lean forte adossée à des processus structurés et maitrisés.

Le bénéfice pour l’entreprise ne se situe pas uniquement au niveau de la compétitivité (réduction de coûts), même si ce bénéfice est très important, mais aussi dans l’amélioration de  la qualité, de la réduction des lead-time, tenue des délais, flexibilité… jusqu’à des bénéfices sur la santé et la sécurité au travail. Le travail sur la donnée est un axe clé, avec la conviction qu’une plus grande maitrise des données permet d’améliorer sa performance.

La France doit préparer l’usine du futur pour éviter d’accélérer, si ce n’est inverser, le processus récent de désindustrialisation. Même si elle accuse quelques retards (hors secteur automobile), elle a des atouts avec notamment les compétences de sa main d’œuvre (notamment les ingénieurs), sa recherche fondamentale, et un nouveau tissu de start-up dynamiques.

Ce mouvement n’est pas réservé aux économies développées. La Chine encore récemment l’usine du monde championne de la fabrication de masse à bas cout aspire à être une super puissance mondiale industrielle à forte valeur ajoutée et fortement automatisée : les investissements chinois en robotisation, sur l’intelligence artificielle et bien d’autres sujets de « l’industrie 4.0 » progressent très vite.

EDR- On voit de plus en plus de convergence entre l’industrie et le monde du numérique. Comment intégrez-vous les nouvelles technologies de l’information et de la communication ?

Jean-Baptiste Pernot : L’industrie 4.0 c’est à la fois une convergence et l’intégration de données de sources et de nature différentes auparavant en silo qui peuvent se réunir et dialoguer entre elles. C’est aussi des capacités à suivre et à échanger des données plus vite en temps réel. Cela permet de nombreuses applications industrielles : suivi de paramètre de production, traçabilité de la matière en temps réel et traduction avec les partenaires vers l’entreprise étendue grâce aux progrès de la connectivité…  En corrélant la valeur des données extraites on peut créer de la valeur, que ce soit dans le domaine marketing/commercial ou dans les processus industriels. Par exemple en faisant de la maintenance prédictive des installations par l’analyse des situations de défaillance.

Aujourd’hui les applications pratiques de l’intelligence artificielle sont souvent encore simples, émergentes, s’appuyant sur l’usage d’algorithmes. L’avenir développera plus de « machine Learning » qui permettra à ces machines intelligentes d’effectuer des tâches toujours plus complexes dans un temps plus court mais aussi de « s’auto-perfectionner » et interagir avec leur environnement afin de définir des actions qui optimisent leur efficience, d’adapter leur geste par rapport au résultat qualité…

EDR –  Sur le volet purement robotique, comment les machines interagissent avec le monde réel de l’industrie et avec les hommes ?

Jean-Baptiste Pernot : On peut désormais intégrer des cobots, c’est-à-dire « robots collaboratifs », dans les usines pour travailler avec les opérateurs humains de manière sécurisée. Avant, les risques d’accidents obligeaient à une séparation claire entre le monde des robots et le monde ouvrier. Les cobots ont dorénavant des capteurs et des niveaux de défense intrinsèques qui permettent de les faire cohabiter sans risque.

Les robots sont flexibles et programmable ou dé-programmable beaucoup plus simplement pour pouvoir être déplacés et adaptés à des opérations différentes rapidement et à un moindre coût. La plupart du temps, les robots soulagent les ouvriers en prenant en charge des tâches répétitives et mauvaises sur le plan ergonomique : l’impact santé n’est pas négligeable.

D’autres technologies peuvent aussi révolutionner la fabrication voire le business model, par exemple l’impression 3D permettant de faire du prototypage facile et immédiat, de réaliser des formes internes qui seraient difficiles à usiner, de décentraliser les processus de production (par exemple faire produire les verres directement par les opticiens).

Les technologies IOT permettent, entre autres, de suivre les paramètres physiques d’un objet pendant sa vie en l’équipant de capteurs et ainsi d’offrir au fabricant ou à ses clients des nouveaux services au client (localisation…).

Autre type d’évolution : la création de « jumeau numérique » (digital twin) donnant un modèle virtuel d’un processus, d’un produit ou d’un service utilisé pour détecter des problèmes, tester et simuler des scénarios sur le modèle physique d’une unité de production. Ça permet de fournir des informations précises sur ce qui se passe dans les machines au point que les informations détectées sur les modèles numériques puissent permettre de prendre des décisions sur les modèles physiques.

Les cas d’usages abondent et il n’est pas possible ici de tous les citer.

EDR – Comment adaptez-vous la structure de votre entreprise pour accompagner les changements ?

Jean-Baptiste Pernot : Toute l’organisation est impactée, les process, les méthodes de travail en interne et avec les partenaires. L’entreprise s’ouvre grâce à des outils collaboratifs qui permettent d’échanger en temps réel en interne ou avec des partenaires externes. Et tout doit évoluer de manière concomitante pour permettre plus de transversalité et d’horizontalité.  Mais ça ne change pas la structure de l’organisation : les humains doivent garder leurs expertises mais apprendre à avoir un process et langage commun. Sur le plan individuel on se concentre sur des tâches à forte valeur ajoutée et il est déterminant d’investir dans la conduite du changement grâce à des plans de formation continue ambitieux.

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