Denis JACQUET est entrepreneur (Edufactory), investisseur et président de Parrainer la croissance, une association d’aide aux PME pour rechercher la croissance, et cofondateur de l’observatoire de l’Uberisation. Il agit sur tous les fronts et tous les territoires pour bousculer « l’ancienne économie » et faire évoluer la société capitaliste. Une petite dose de pessimisme quand il faut alerter sur l’urgence d’ajuster les modèles en place et une grande dose d’optimisme qui lui permet de toujours proposer des solutions concrètes pour que tous les Hommes profitent de la croissance.
EDR – Votre livre sur l’ubérisation a été écrit en pleine tourmente de la crise entre Taxis et VTC. Plus d’un an après, quelle est votre analyse de la situation ?
Denis JACQUET : Certes nous avons quitté la tourmente médiatique, le problème n’est pas réglé pour autant. Le nombre de ceux qui travaillent pour les plateformes a été multiplié notamment via le phénomène des livreurs (notamment de repas) à vélo et pour cette profession, plus encore que tout autre, le problème reste entier. Avec plus de 400 plateformes en France, vu du côté client, cette économie fonctionne, répond à un besoin et satisfait les clients. On continue à protéger des corporatismes mais au final c’est le choix du client qui légitime cette économie et l’usage sera toujours le plus fort. Mais ces professions doivent être accompagnées et non sacrifiées.
Des solutions de médiation sont mises en place, mais ce ne sont que des compromis qui apportent des réponses provisoires. Une bonne médiation ne peut rien pour une mauvaise loi. La solution à long terme repose sur sa refonte, l’évolution des statuts et et les systèmes de protection sociale associés. Il faut instaurer un socle social de base pour initier un cercle vertueux. Les expéditions punitives pour requalifier des contrats de travail sont inutiles et contre-productives. L’Etat doit coordonner et inciter à des accords, mais pas ou peu légiférer. Au delà de la « rémunération », il faut transformer ces activités en évolution sociale et professionnelle future, pour les populations concernées, car ces plateformes sont potentiellement un tremplin vers de meilleures perspectives.
Le mouvement est irréversible, cette économie est installée et cela se traduit par la convergence des modèles et notamment des économies physiques et numériques. Airbnb construit des immeubles et ACCOR commence à proposer des chambres hors de son parc hôtelier. Ces deux acteurs considérés comme concurrents finiront par collaborer pour créer des modèles convergents créateurs de valeur pour les clients. Ce sera le cas pour toute cette économie.
Blog EDR – L’économie de plateformes a « nourri » de grandes entreprises monopolistiques. On parle déjà de la blockchain qui promet de tenir cette fois la promesse libertarienne de l’économie collaborative. Qu’en pensez-vous ?
Denis JACQUET : À l’origine l’idée de la blockchain était de décentraliser les échanges en créant une économie aux antipodes du modèle des GAFA, ou des Etats, décentralisée. L’idéologie d’origine était plus anarchiste que libertarienne. Maintenant chaque acteur veut s’en emparer pour optimiser sa productivité et cette technologie risque de perdre son âme. Avec des cotations, des spéculations et beaucoup d’argent investi par des acteurs limités, ce système tend déjà à une forme de centralisation. Les cryptomonnaies continuent leurs progressions notamment en Asie. En cas d’imprévu de type crise financière mondiale, peut-être deviendront elles des réserves alternatives pour alimenter une économies de plus en plus digitale.
Blog EDR – Je m’apprête à lire « Startup Lions » sur l’Africa TECH. Vous avez des projets d’innovation avec des partenaires locaux en Afrique. Que pensez-vous de cet écosystème d’innovation très dynamique sur ce continent ?
Denis JACQUET : Le taux d’équipement et d’usage du téléphone permet d’être une extraordinaire source d’expérimentation des nouvelles technologies. Un véritable écosystème d’innovation se met en place avec des ecopartnerships, des incubateurs et les opérateurs locaux multiplient les initiatives pour créer de la valeur. Tout ceci prend du temps mais ça impulse des usages et une nouvelle expérience client et citoyenne plus fluide.
Il reste encore à développer un accès à internet puissant et accessible à tous et développer une politique transafricaine indépendante « des grands » pour que ce continent capte et redistribue la valeur créée par cette nouvelle économie. L’intelligence artificielle va être le dernier levier de productivité et pousse au remplacement de l’homme dans les pays occidentaux en panne de productivité justement. En Afrique le numérique pourrait, au contraire, créer des emplois grâce à l’industrialisation à l’échelle du continent de nouveaux modèles rentables (livraison, paiement en ligne…).
EDR – Si vous deviez écrire un nouveau livre en lien avec la mutation de notre société, quel en serait le thème ?
Denis JACQUET : Les constats sont posés, l’ambition serait maintenant d’écrire un livre sur des pistes concrètes, des solutions afin d’ouvrir la voie à un capitalisme inclusif basé sur un meilleur partage de la valeur. Avec le développement du numérique on transcende les différences politiques et culturelles car les usages vont uniformiser les besoins, une approche globale est donc possible. Les micro-initiatives dispersées sont magnifiques, mais ne suffiront pas. Il est important de poser des actions en partenariat avec des acteurs puissants de l’économie mondiale, qui d’ailleurs prennent conscience de leur impact sociétal et montrer l’exemple.